Marc Sanchez / Une histoire de famille


> Épisode 4 : de 1936 à 1940


1936

Été : Armand Sanchez, est en vacances à la Cité Petit, chez sa tante Marie et avec son cousin, et découvre les joies de la campagne. La tante Marie vivait dans une maison individuelle avec un jardin potager, des arbres fruitiers et des poules, oies, canards et lapins, pour la plus grande joie des enfants.
« C’était bel et bien la campagne, écrit Armand dans ses « Mémoires d’un Pied-Noir », avec ses champs cultivés, ses arbres, ses pieds de vigne bien alignés dont on piquait une petite grappe en passant. L’on aimait bien aussi, quand nous rencontrions des cactus, y couper les figues de barbarie, un vrai délice mais gare aux multiples piquants qu’on avait bien du mal à retirer des mains ! Mais cela ne nous faisait guère reculer, bien au contraire ! Ainsi se passaient mes agréables vacances inoubliables dans ma mémoire, mes parents n’ayant pas les moyens de m’envoyer en colonie de vacances en France comme l’on avait coutume en ces temps-là. »

1er juin : Création, à Oran du BOMO, le Bloc des organisations musulmanes d'Oranie, présidé par le Cheikh Zahiri de l'Association des Oulémas. Cette organisation est le résultat de plusieurs années d'actions de rapprochement entre les organisations musulmanes et les forces de gauche : Parti communiste et Front Populaire. Cela donna lieu au grand rassemblement franco-musulman du 7 juin 1936 (voir ci-dessous) dans une solidarité inédite, confirmée par de nombreuses grèves unitaires comme celles des dockers à Oran et dans de nombreux ports. Ces actions s'opposaient radicalement aux diverses forces de droite et d'extrème droite, particulièrement actives en Algérie à cette époque. Le Cheikh Zahiri s'exprima notamment sur la « fraternité judéo-musulmane, la nécessaire union de toutes les races et les dangers de la division. »
Claire Marynover, agrégée d'histoire au Centre d'histoire de Sciences-Po à l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée, parle en ces termes de la situation à Oran : « Le Congrès musulman prit à cette époque à Oran le visage d’un véritable « Front populaire musulman » ; c’est d’ailleurs le titre qu’il se donnait parfois dans sa propagande. Lors du retour à Oran de Benaouda Bachterzi, l’un des délégués du Congrès musulman envoyés à Paris, le 31 juillet 1936, l’accueil qui fut réservé au conseiller général de la ville illustrait bien ce premier « esprit Front populaire ».
Selon les services de surveillance, un crieur public avait sillonné la veille et le jour même le quartier juif et le « village nègre » pour annoncer l’événement. Deux mille cinq cents personnes étaient postées sur le quai, dont « deux tiers d’indigènes et un tiers d’israélites ».
Les sociétés musicales juives et musulmanes assistaient à l’événement, les assistants saluèrent du poing levé, chantèrent l’Internationale puis la Marseillaise et crièrent « Vive les Rouges, vive le Front populaire ! »

> Article de la revue Caïrn : « Le moment Front populaire en Oranie : mobilisations et reconfigurations du milieu militant de gauche », par Claire Marynower

> Article : Saïd Zahiri

7 juin : Premier Congrès musulman à Alger. Ce premier Congrès, qui réunit toutes les tendances des mouvements musulmans, à l'exception de l'Étoile Nord-Africain de Massali Hadj, propose tout un ensemble de revendications permettant une meilleure intégration des populations algériennes, la « Charte revendicative du peuple alégrien musulman ». Ce document sera remis, le 22 juillet 1936, au gouvernement français à Paris. Pour la première fois, l'Algérie musulmane formulait ses volontés manière affirmée et claire. Le Congrès musulman national sera dissout par l'administration coloniale en 1937 ce qui mit fin à tout espoir de dialogue et de médiation.

> Article : « Cela s'est passé un 7 juin 1936 »

Novembre : Le projet Blum-Viollette concernant l’octroi de la pleine citoyenneté française à quelque 20 000 Algériens musulmans est refusé par les colons et par les indépendantistes.

> Article Wikipédia : Le Projet Blum-Viollette


1937

Sans date : Mariage de Madeleine Sanchez et Dominique Barbarisi. Dominique était un ami de Marcel, il était d’origine italienne et né à Mascara. Son père était maître bottier dans une caserne militaire, avant de devenir illusionniste sous le nom d’Atotas ! Dominique, qui terminait son service militaire dans le 1er régiment de Zouaves cantonnés à Oran, travaillait comme vulcanisateur de pneus chez Firestone. Pour ce mariage, Armand, accompagné de sa nièce Christine, est à nouveau garçon d’honneur. Une fois mariée, Madeleine quitte le domicile familial et Marcel et Armand sont donc les seuls enfants de la famille à rester avec leurs parents et à aider au travail dans l’entreprise familiale, « Le Bottier Modèle. »

21 février : Parution du premier numéro du journal « Oran Républicain ». Fondé par Edmond Auzas, ce journal prend la parole au nom des forces républicaines de gauche, en opposition à l'Écho d'Oran qui soutient les position pro-fascites défendues par l'Abbé Lambert, le maire d'Oran. « Oran Républicain » défendra des positions de gauche antifascistes et antiracistes, s'opposera aux positions pro-franquistes et fera campagne contre l'annulation du projet Blum-Viollette.

> Article : Edmond Auzas

Printemps : Publication de « Santa-Cruz et autres paysages africains » de Jean Grenier, chez Edmond Charlot à Alger.

> Article Wikipedia : Edmond Charlot

> Article Wikipedia : Jean Grenier

23 mai : Publication du premier article critique sur « L'Envers et l'Endroit » d'Albert Camus dans « Oran Républicain » qui est le premier journal à réagir à ce livre publié dix jours plus tôt par Edmond Charlot à Alger et édité à un très petit tirage. L'article est signé par José-Henri Lasry et il émet des réserves sur l'originalité de la personnalité littéraire de Camus qu'il trouve très semblable à celle de son maître et ami Jean Grenier.
Cet ensemble de cinq essais fortement autobiographiques constitue la toute première publication du jeune Camus, qui a seulement 23 ans, et il considèrera cette oeuvre de jeunesse comme la l'origine de toute sa pensée : « Je sais que ma source est dans L'Envers et l'Endroit, dans ce monde de pauvreté et de lumière où j'ai longtemps vécu et dont le souvenir me préserve encore des deux dangers contraires qui menacent tout artiste, le ressentiment et la satisfaction. »

> Article Wikipédia : L'Envers et l'Endroit

Printemps : Marcel Sanchez est appelé sous les drapeaux et part faire son service militaire dans l’infanterie à Dijon pour deux années. Armand se retrouve le seul enfant à la maison et à l’atelier. Ces deux départs du début de l’année 1937 perturbent fortement l’équilibre de travail de la famille. Soudain, Armand, qui vient tout juste d’avoir 13 ans et qui est en train de terminer ses études primaires et qui va passer son certificat d’études, voit augmenter très sérieusement sa charge de travail.
Armand en parle longuement dans ses « Mémoires d’un Pied-Noir » : « Après mes leçons apprises et mes devoirs faits, une quantité d’occupations m’attendaient à l’atelier afin d’aider mes parents : diverses livraisons de chaussures aux magasins de la ville que nous fournissions, commissions aux crépins pour l’achat de marchandises et matières premières, colis à livrer ou à réceptionner à la poste ou aux agences de transport. Je dois ajouter que je n’avais que 13 ans et que je rageais de voir tous mes copains s’amuser alors que moi je ne pouvais pas car le travail m’appelait à l’atelier du père. »

Juin : Armand Sanchez obtient son Certificat d’études primaires et élémentaires. C’est sa dernière année d’école. Il a 13 ans.

> "Film : Le Certificat d'Études en Algérie", durée 1 min 20

Juillet : Rogelio Sanchez décide d’enseigner le métier de bottier à son fils Armand pour assurer sa succession professionnelle. Cet apprentissage durera deux années.
« J’étais à la bonne école avec un spécialiste comme mon père et je ne formulais qu’un désir : c’est de l’égaler dans son art de modéliste-coupeur pour lequel il était fort réputé. Mon père le compris et il s’appliqua de son mieux pour me faire parvenir à son degré de connaissances ; d’après ses dires, j’étais bien doué, j’avais des capacités, j’y parviendrai. » écrit Armand dans ses « Mémoires d’un Pied-Noir ».

Sans date : Photo colorisée de Thérèse Rodriguez qui a 24 ans.


Sans date : Photo de famille d’Arlette Rodriguez, vers l’âge de 3 ans, avec ses parents, Thérèse, sa maman, est en tablier de cuisine et Raphaël, son papa, en grand uniforme de Gendarme mobile.

Sans date : Photo de la Grand Mémé, Maria Calvet qui a 63 ans, avec ses petits-enfants : Jean-Jacques, 6 ans, et Arlette et Christiane, 3 ans.



1938

Un petit film qui montre la région d’Oran en 1938.

> Film : « Voyage en Oranie », durée 11 minutes

16 avril : Décès de Raphaël Rodriguez à Alger, à l’âge de 31 ans. Raphaël avait eu deux enfants avec Thérèse : Jean-Jacques (6 ans et demi) et Arlette (presque 4 ans).
Officiellement, Raphaël est décédé par accident mais, selon la rumeur familiale, il se serait suicidé en utilisant son arme de gendarme, ayant découvert que sa femme, Thérèse, avait un amant (Robert Laurent, qui sera son futur mari). Son décès produit un séisme familial car Thérèse est vue comme responsable de cet acte…

L'Acte de décès mentionne que Raphaël est décédé à la 19e Section d'infirmiers militaires, Boulevard de Champagne à Alger (actuellement Boulevard Saïd Touati). Il s'agit, en fait, de l'Hôpital Maillot, grand hôpital militaire plus connu sous le nom de Hôpital du Dey. En effet, les bâtiments médicaux sont contruits autour de l'ancien Palais du Dey d'Alger. Le Dey était le Gouverneur d'Alger et de sa région à l'époque de l'occupation de l'Empire Ottoman, entre 1671 et 1830. Le Palais a été construit pour le Dey Baba Hassan, entre 1791 et 1799. C'est en 1832 qu'il fut transformé en hôpital militaire. L'Hôpital Maillot, du nom d'un grand médecin militaire de l'époque, est un lieu de grande qualité, bien équipé, dôté de bâtiments modernes entourés de jardins luxuriants. Le plus beau bâtiment, le Palais central, est réservé aux officiers.

C'est là qu'a été conduit Raphaël ; il y a fini ses jours le seize avril 1938, à 9 heures du matin.

19 avril : Les obsèques de Raphaël Rodriguez ont lieu au cimetière d’Azazga. L'avis de décès est publié de l’Écho d’Alger.
L’avis de décès fait état de plusieurs membres de la famille dont, pour certains, il est peu ou pas fait état dans l’histoire familiale. Le texte est le suivant : « Alger-Azazga : Mme Vve Rodriguez Raphaël et ses enfants, Jean et Arlette ; Mme et M. Jean Rodriguez ; Mme et M. César Rodriguez et leurs enfants : Mme et M. Alphonse Rodriguez et leur fille ; M. Jean Rodriguez ; Mme et M. Georges Vogt et leurs enfants ; les familles Calvet, Ross et Caillaud ; vous font part du décès de Monsieur Raphaël Rodriguez, Garde républicain, survenu à Alger, le 16 avril 1938, dans sa 32e année. Les obsèques auront lieu à Azazga, aujourd’hui à dix heures. »

Après ce drame, Thérèse et ses enfants, Jean et Arlette, vont vivre chez sa maman, Maria Baños Canovas, veuve Calvet, qui habite au 22 rue Nobel à Oran dans le quartier Gambetta.
La rue Nobel est une rue vivante qui relie la place Gambetta et la place Fontanel et qui se trouve à proximité des falaises d'Oran, à l'est de la ville, et qui offrent une large vue sur toute la baie d'Oran et son port de commerce. Elle est toute proche de la rue Alexandre Dumas, qui fait l'angle avec la rue Nobel et où habite, au numéro 6, sa fille Marie Herrera avec sa fille Christiane. La mère et la fille ne doivent habiter qu'à quelques dizaines de mètres l'une de l'autre.

Printemps : Quatre photos montrent Thérèse Rodriguez en grande tenue de deuil, accompagnée de ses deux enfants, Jean et Arlette, et de sa nièce Christiane. Ils sont tous très élégants, les deux petites filles portent la même robe et tous les détails de leur tenue sont exactement identiques, chapeaux, chaussures et chaussettes. Cela indique que, peut-être, les deux cousines vivaient déjà ensemble ce qui voudrait dire qu’après la mort de son mari, Thérèse se serait installée avec ses deux enfants chez sa sœur Marie (Marie Calvet, épouse Herrera, qui décèdera accidentellement deux ans plus tard). Thérèse, comme souvent, est très élégante et porte le deuil avec panache ! Arlette et Christiane ont 4 ans et Jean a tout juste 8 ans.

Sans date : Une photo montre Arlette Rodriguez et Christiane Herrera à nouveau habillée de la même façon. Il semble qu’elles portent toutes deux une robe en laine tricotée à la maison.

Été : Grande photo de famille Calvet à la plage, réunie autour de la « Grand Mémé », Maria Baños Canovas, qui est veuve depuis 1930. Beaucoup, sur cette photo, ne sont pas identifié.e.s mais l’on reconnait, à l’extrême droite, Thérèse avec, à côté d’elle, Jean, son fils, en costume de bain une pièce, et les deux petites filles assises au premier plan sont Arlette, en maillot de bain à bretelles, et Christiane, qui tient une poupée à la main et fait une grimace. Derrière la Grand Mémé, une serviette blanche sur les épaules et détournant le regard, c’est Marie Calvet, sa fille, sœur de Thérèse et maman de Christiane. Deux de garçons portent des bérets, ce qui semble être à la mode à l’époque. Toutes les autres personnes sont à identifier.

Été : Une photo des deux sœurs Thérèse et Marie Calvet. Thérèse est debout et Marie, assise. Au second plan, la petite fille en robe à carreaux qui tient une poupée est Christiane, la fille de Marie.

Hiver : Une photo de Jean Rodriguez, qui semble avoir eu une belle voiture à pédales pour Noël !

Hiver : Une photo de Jean et Arlette Rodriguez avec leur cousine Christiane Herrera. Les deux cousines ont reçu chacune un beau baigneur en celluloïd pour Noël.



1939

Mai : Rogelio Sanchez est atteint d’une pneumonie et doit garder le lit pendant deux mois. Il confie alors la direction de l’atelier et du magasin à son fils Armand qui vient tout juste d’avoir 15 ans et qui est en train de terminer son apprentissage à ses côtés.
« Je pris donc le mors aux dents et, avec une résolution acharnée, je pris la tête de la fabrique, en toutes circonstances et avec les devoirs que cela implique et la responsabilité qui en découle ». Armand Sanchez, « Mémoires d’un Pied-Noir ».

Juin : Marcel Sanchez est libéré de son service militaire efféctué dans les Zouaves à Dijon. Il est de retour à Oran et reprend le travail à l’atelier avec Armand.

5 au 15 juin : Le journal « Alger Républicain » publie le reportage réalisé par Albert Camus sur la Kabylie. Chaque jour, du 5 au 15 juin, un nouveau chapitre est publié sous l'intitulé général « Misère de la Kabylie ». C'est à un véritable réquisitoire que se livre Camus contre la misère profonde qu'il découvre en Kabylie et qui est en contradiction totale avec les discours idéalistes tenus par les pouvoirs publics et relayés par la presse française ou par les films de propagande (voir ci-dessous « Voyage au coeur de la Kabylie ») qui dépeignent la Kabylie comme un vrai paradis sur terre...
C'est à un travail d'analyse profonde que se livre ce jeune journaliste de 25 ans, qui ne supporte pas l'injustice et qui se sent investi d'une mission. Son argumentation est riche et détaillée, sa révolte est totale, ses propositions d'amélioration de la situation sont concrètes et réalistes. Son objectif est de plaider en faveur des droits des populations Kabyles à l'éducation, à la dignité et à un traitement qui soit à la fois digne d'une puissance coloniale comme la France et respectueux des peuples.
Ses articles suscitent l'indignation et la colère chez les européens qui n'acceptent extrèmement mal la leçon que Camus leur inflige. Ils feront date, par leur clairvoyance et leur engagement, dans l'histoire de la dénonciation de ces grandes inégalités coloniales qui sont l'une des causes majeures du conflit algérien.

> Article : Le texte intégral des dix articles publiés par Alger Républicain

> PDF consultable en ligne de l'ouvrage, publié en 2005 par les Éditions Zirem de Bejaia, qui réunit l'ensemble des articles/a>

> Film de propagande : « Voyage au coeur de la Kabylie »

1er juillet : Mariage de Thérèse Calvet et Robert Albert Marcel Laurent, qui est agent d'assurances et réside à Alger. Robert a 19 ans, Thérèse a 26 ans, elle est veuve depuis quinze mois et réside chez sa maman, au 22 rue Nobel à Oran, avec ses deux enfants. Il semble qu'à l'issue du mariage, ils se soient installés à Tizi-Ouzou, où vit la maman de Robert. Les témoins du mariage sont : Louis Ross, entrepreneur de transport (maison Agostini, rue de Pontoise) et Henri Caillaud, radio opérateur civil.

Été : Une photo d’Arlette et de Jean devant une belle voiture, une Citroën Rosalie, derrière laquelle se tient leur maman. Il s’agit certainement de la voiture de Robert Laurent, le tout nouveau mari de Thérèse et leur nouveau beau-père. Il semble que le niveau de vie de la nouvelle famille Laurent se soit très sensiblement amélioré depuis une année. Plus exactement depuis que Thérèse a rencontré Robert Laurent. Les photos en grande tenue, les beaux jouets offerts à Noël et la belle voiture que l'on voit sur cette photo en témoignent.

> Article Wikipédia : La Citroën Rosalie

3 septembre : La France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne. C’est le début de la Seconde guerre mondiale.

Septembre : Mobilisation de Marcel Sanchez, qui venait de rentrer, trois mois plus tôt, du service militaire, et de Dominique Barbarisi. Ils sont tous deux affectés au 1er régiment de Zouaves et partent pour le Liban. Armand, qui a 16 ans, se retrouve à nouveau seul enfant à travailler à l’atelier.


1940

8 mai : Naissance à Tizi-Ouzou d’Henri Laurent, premier et unique enfant de Thérèse et de Robert Laurent. Robert a 20 ans, Thérèse a 27 ans. C’est le futur « Tonton Riri ».

Été : Une photo de Thérèse Calvet, épouse Laurent depuis un an, avec son troisième enfant dans ses bras, Henri Laurent, âgé de quelques mois, et avec Jean (9 ans) et Arlette (6 ans) Rodriguez. C’est la première apparition sur une photo de la belle poussette aux gardes-boue chromés que l’on retrouvera sur les premières photos de son petit-fils, Marc, dix ans plus tard, en 1951.

Hiver : Une photo de Jean Rodriguez avec son petit frère Henri Laurent, âgé d’environ 6 mois. Il est assis dans une belle chaise haute en bois dans laquelle il se tient bien droit grâce au soutien de son grand frère. Photo certainement prise à Tizi-Ouzou où toute la famille Laurent habite.

Printemps : Armand Sanchez construit tout seul son premier vélo. Il vient d'avoir 16 ans.
« Avec le peu d’argent que mes sœurs me donnèrent et quelques pourboires pour services rendus à des voisins, je pus, avec grandes difficultés et avec un cadre de vélo que je possédais déjà, me fabriquer le vélo dont je rêvais avec de nombreuses pièces achetées aux puces. » (AS) Une liberté toute nouvelle pour la bande d’enfants du quartier qui pouvait ainsi sortir d’Oran le dimanche, aller à la plage ou dans les montagnes alentours. Et parfois aussi en semaine car, en ces temps-là, le travail pouvait manquer cruellement à l’atelier. S’acheter de nouvelles chaussures ne faisait plus partie des priorités de cette Algérie qui se trouvait de nouveau en guerre et où tout manquait.

14 juin : Paris est occupé par les Allemands. Le 18 juin, De Gaulle lance son Appel depuis Londres. Le 22 juin, l’armistice est signé par le Maréchal Pétain, la France est coupée en deux, le Nord est occupé par les Allemands, le Sud est sous le contrôle du régime de Vichy ainsi que l’Algérie.

3 juillet : Attaque du port de Mers el-Kébir par les Anglais et destruction de la flotte française.

Armand, dans ses « Mémoires d’un Pied-Noir », raconte l’événement qu’il a vécu en direct: « Ce fut par des coups de canon venant du large de la mer et par les sirènes d’alerte générale de la ville que nous fûmes surpris un jour en fin d’après-midi. Chacun se demandait ce qui se passait car les Allemands avaient cessé les hostilités et nombreux furent ceux dans la population qui gagnèrent les abris souterrains. La bataille, si elle avait lieu, s’amplifiait, les coups de canons s’accentuaient et ce fut alors que nous sûmes, car les nouvelles vont vite en ces moments de panique générale, que l’on tirait sur la flotte française de la base navale de Mers el-Kébir, mais nous ne savions pas qui nous canonnait du large. Je pris la décision, la curiosité me gagnant, de prendre mon vélo et de me rendre à Roseville-Sainte-Clotilde, village du bord de mer situé dans la baie de Mers el-Kébir. »

« Ce que je vis fut un spectacle des plus macabres et des plus effroyables, il y avait de quoi frémir ; une grande partie de la flotte française surprise par la canonnade adverse venant de l’horizon était en presque totalité coulée ou sur le point de l’être. Par endroits, la mer était en feu, le mazout flambait, des marins voulant se débattre dans ce brasier, périrent et l’on distinguait leurs ébats éperdus afin de se sauver de la fournaise qui les environnait. Quelques navires de guerre, voulant se dégager, prirent le large, mais ils étaient pilonnés par les coups de canons qui devinrent de plus en plus précis. D’autres unités de la base navale se sabordaient afin de ne pas capituler. On les voyait sombrer sous nos yeux, sans que l’on ne puisse rien faire. Ce fut une bataille navale atroce. Le lendemain, nous apprîmes par les journaux un fait hautement historique : la base navale de l’Amiral Darlan avait été engloutie quasi en totalité par la flotte des unités navales anglaises et ceci en représailles pour collaboration avec l’ennemi, les allemands. »


L’histoire dit qu’il ne s’agissait pas là de représailles de la part des anglais mais d’une tentative désespérée d’empêcher que la flotte française ne tombe aux mains des allemands puisque la collaboration venait d’être signée par Pétain. La Royal Navy, sur ordre de Churchill, manifestait ainsi son désir de poursuivre la guerre et ce même au prix d’une rupture sanglante avec son allié français de la veille. Toute la flotte française de Mers el-Kébir fut effectivement détruite et il y eu près de 1300 morts et 350 blessés chez les marins français. Ce fut l’un des moments déterminant de la guerre pendant cette année 1940 et le jeune Armand y avait assisté en direct.

> Article : « L'Attaque de Mers-el-Kebir »

7 octobre : Abrogation du décret Crémieux par le gouvernement de Vichy, privant ainsi les juifs d’Algérie de leur nationalité française.



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